La responsabilité pénale et civile de Jérôme Kerviel



Actualité judiciaire : Deux procédures, relativement complexes, l'une pénale, l'autre civile, pour déterminer la responsabilité de Jérôme Kerviel.

Au XVIIème siècle, Jean Domat formalise le principe selon lequel toute faute ayant causé un préjudice entraîne l'obligation de le réparer.
Jean Domat définit aussi la faute comme un comportement différent de celui qu'aurait eu dans les mêmes circonstances « un bon père de famille ». Le Code civil a repris ces idées, en 1804, notamment par la rédaction de l'article 1382, socle du droit de la responsabilité.
« Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Saluons donc le publiciste Jean Domat pour son ingérence parmi les privatistes.

Alors que la responsabilité pénale est une sanction de la société pour punir l'infraction et le trouble social occasionné, la responsabilité civile est une réparation du dommage subi par la victime, une réparation qui prend la forme de dommage et intérêt.
Il y a deux fonctions distinctes qui supposent donc deux régimes. En responsabilité pénale, la sanction est fixée proportionnellement à la gradation du comportement.
En responsabilité civile, le juge se concentre sur le préjudice subi et la réparation sera la même que celui-ci soit dû à un accident ou à un meurtre. La réparation sera aussi la même selon qu'il y ait négligence, faute, faute lourde ou faute grave.
Dans le cas où responsabilité pénale et responsabilité civile sont cumulées, le procès pénal prime sur le procès civil. Pour faciliter l’accès à la procédure judiciaire et l’accélération de celle-ci, les victimes peuvent se joindre au procès pénal en se constituant partie civile et formuler une demande civile de réparation c’est-à-dire d’indemnités.
Les cas de responsabilité civile sont multiples et fondent la plupart des décisions de justice ou motivent les actions en justice.

L'affaire qui oppose au civil Jérôme Kerviel à la Société Générale sera examinée à nouveau en juin 2016. Il s'agira de se prononcer sur la responsabilité civile de l'ancien "trader" ou sur l'exonération de celle-ci en raison de la faute commise par la Société Générale.
Dans son arrêt du 19 mars 2014, la Cour de cassation avait relevé l’existence de fautes commises par la Société générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières. La décision de la cour d'appel condamnant Jérôme Kerviel à payer à la Société générale la somme de 4 915 610 154 euros en réparation de son préjudice, est donc annulée . L'affaire est renvoyée devant une autre cour d'appel qui statuera en juin 2016.
(Cour de cassation chambre criminelle : arrêt du 19 mars 2014, N° de pourvoi: 12-87416)

Extraits de l'arrêt de la Cour de cassation :
Cour de cassation chambre criminelle : arrêt du 19 mars 2014
N° de pourvoi: 12-87416


Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Jérôme X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 24 octobre 2012, qui, pour abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage, a condamné le premier à cinq ans d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ; 
…/… 
Mais sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, L. 511-40 et L. 511-41 du code monétaire et financier, du règlement n° 97-02 du 21 février 1997, préliminaire, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ; 

" en ce que la cour d'appel a condamné M. X... à payer à la Société générale la somme de 4 915 610 154 euros en réparation de son préjudice ; 
…/… 
Vu l'article 2 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1382 du code civil
Attendu que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient souverainement aux juges du fond ; 

Attendu que, pour condamner M. X... à verser à son employeur, la Société générale, à titre de dommages-intérêts, la somme de 4, 9 milliards d'euros correspondant à l'intégralité du préjudice financier, l'arrêt énonce que le prévenu a été l'unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué le dommage, lequel trouve son origine dans la prise de positions directionnelles, pour un montant de 50 milliards d'euros, dissimulées par des positions fictives, en sens inverse, du même montant, et que la banque n'a pas eu d'autre choix que de liquider sans délai les positions frauduleuses du prévenu ; que les juges, après avoir constaté l'existence et la persistance, pendant plus d'un an, d'un défaut de contrôle hiérarchique, négligence qui a permis la réalisation de la fraude et concouru à la production du dommage, et l'absence d'un quelconque profit retiré par le prévenu des infractions commises, relèvent que si cette défaillance certaine des systèmes de contrôle de la Société générale a été constatée et sanctionnée par la Commission bancaire, aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une faute de la victime, le montant des réparations dues à celle-ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens ; 

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait l’existence de fautes commises par la Société générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Sur le pourvoi de M. X... :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 octobre 2012, mais en ses seules dispositions relatives à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge de l'arrêt partiellement annulé ;

En attendant, l'affaire au pénal continue : Jérôme Kerviel a en effet demandé une révision de sa condamnation pénale à 5 ans d'emprisonnement.


Le lundi 21 mars 2016, la Cour de révision de la Cour de cassation a décidé de reporter sa décision.

Le procès pénal prime toujours sur l'aspect civil et pour faciliter la réparation, on permet aux victimes de se joindre au procès pénal en se constituant partie civile.

L'abus de confiance dans les textes

L'abus de confiance « le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ».

La commission de révision des condamnations pénales

La commission de révision des condamnations pénales a été instituée par la loi n° 89-431 du 23 juin 1989.
La commission est composée de 5 magistrats de la Cour de cassation désignés par l’assemblée générale de la juridiction, la présidence étant assurée par un des 5 membres élus, choisi parmi les membres de la Chambre criminelle.
La commission a pour mission de recevoir et d’instruire toutes les demandes en révision ainsi que les demandes de suspension de peine.
Selon l’article 622 du Code de procédure pénale, pour prétendre à la révision d’une affaire, il suffit d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu de la juridiction au jour du procès « de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné », et non plus, selon l’ancien texte « de nature à établir l’innocence du condamné ».
La commission procède à toutes les investigations qu’elle estime utiles.
Elle statue ensuite sur l’admissibilité de la demande en révision.
La procédure est contradictoire.
La chambre criminelle de la Cour de cassation n’est saisie que si la commission a déclaré admissible la demande.
La chambre criminelle, siégeant comme Cour de révision, statue par arrêt motivé, à l’issue d’une audience publique et d’un débat contradictoire.
Si elle estime la demande fondée, la Cour de révision annule la décision prononcée et renvoie l’affaire devant une autre juridiction de même ordre et de même degré que celle dont émane la décision visée.



Salutations numériques
Sophie Cuq


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